samedi 27 août 2011

De la perversion de la fonction parlementaire

Par Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haitien, Haïti, ce 26 août 2011

Le parlement désigne une assemblée délibérante ayant pour fonction de voter des lois et de contrôler l’action gouvernementale. Historiquement, c’est pour cela qu’il a été institué en Grande-Bretagne au Xlllème siècle. Donc, à l’origine, le parlementaire avait des attributions très précises et bien définies mais cela a évolué au fil du temps avec cette pratique déloyale de faire chanter les gouvernements pour des portefeuilles ministériels, en les menaçant de motion de censure. Jusque-là, nous ne voulons pas parler de perversion de la fonction mais le comportement de certains élus est, en effet, pervers.

Ces dernières années, les « pères conscrits » haïtiens ont très mauvaise réputation aux yeux de la population, et la conjoncture politique actuelle vient renforcer cet antiparlementarisme. Et, au-delà de ce simple phénomène d’opinion, il y a tout un dérèglement de la norme constitutionnelle voire une sorte de déviation inouïe de la fonction. Dans la pratique la plus habituelle, leur mission de contrôler et d’évaluer les politiques publiques du gouvernement et de légiférer en faveur du peuple est, sans conteste, négligée par rapport à d’autres sphères d’activités qui n’ont aucune relation avec celle qui leur est dévolue par la Constitution.

Le parlementaire n’est pas un agent de développement. En ce sens, il n’a pas à réclamer de l’argent dans les ministères au nom de sa circonscription pour la réalisation de projets. Son travail ne consiste pas à céder, contre de l’argent ou par intérêt, des postes de direction aux plus offrants. Il n’a rien à voir, en termes de déboursement, dans l’organisation des activités populaires et culturelles telles les fêtes patronales et les festivités carnavalesques. Un Sénateur ou un Député ne doit pas appartenir à la pègre ni avoir des connexions avec des narcotrafiquants ou être impliqué dans une action malhonnête, douteuse ou condamnable telle la corruption par exemple.

Le parlementaire devrait être une personnalité morale, honorable et respectable ayant un certain niveau de connaissance pour discuter des questions spécifiques d’importance publique. Il devrait avoir la capacité intellectuelle de faire la lumière sur les opérations du pouvoir en place en fournissant un espace publique où les politiques et les actions gouvernementales sont débattues, passées au crible et livrées à l’opinion publique. Il devrait être aussi en mesure de soutenir l’État de Droit en dénonçant d’éventuels abus de pouvoir, comportement arbitraire et conduite illégale ou anticonstitutionnelle de la part de l’Exécutif. Il ne devrait être ni un analphabète ni un laquais…pour éviter que sa fonction ne soit perçue comme une sinécure pour les personnes amorphes, molles, inactives et qui ne maitrisent ni la lecture ni l’écriture.

En effet, ils sont légions, ceux-là qui pensent que les parlementaires haïtiens, en raison de leur improductivité et de leur performance négative, ne méritent pas leur salaire et les largesses qui leur sont allouées...Pourtant, les Juges font, de très loin, mieux qu’eux ; malheureusement, ils sont traités en parents pauvres. Il faudra, un jour, un soulèvement de la Magistrature et du corps judiciaire en général pour exiger des deux autres pouvoirs de l’État un partage équitable de la souveraineté nationale et des biens de la République tel que prévu par la Constitution.

Aujourd’hui, avec la logique d’affrontement instaurée au niveau de la Chambre Haute par une majorité bien déterminée à contrecarrer l’Exécutif, le Parlement remplit moins bien son rôle que par le passé. Quand le sens d’action de l’un dévie la ligne régulière de l’autre, cela va entrainer le pays dans une instabilité certaine. Théoriquement, le Parlement représente le peuple et devrait être le garant de ses aspirations. Provoquer des difficultés, détourner l’intérêt, créer des conditions de blocage…voilà les moyens possibles pour le mandant de retirer sa confiance à son mandataire, de douter de sa compétence et de son aptitude à garantir son destin.

Dans le système démocratique, le pouvoir est censé être exercé par le peuple. Donc, il ne devrait pas y avoir de conflit pour la conduite et le bien-être de la société entre l’Exécutif et le Législatif. Ceci est contraire au droit et à la morale politique. Le parlement a le droit d’exprimer, avec une certaine décence, son désaccord ou son contraste avec le gouvernement en place ; c’est pourquoi le principe d’organisation sociale les dispose en complémentarité. Cependant, les couches les plus défavorisées ne doivent pas en subir les conséquences.

Depuis son avènement au pouvoir, un véritable écran est dressé entre le Président de la République et un groupe de seize Sénateurs qui ne pensent décidément qu’à leurs intérêts personnels et à ceux de leurs familles politiques plutôt qu’aux besoins pressants de la population et au redémarrage du pays. Si le peuple n’a pas assez d’autorité pour contraindre le Législatif à jouer correctement le jeu de la démocratie, il court le risque de voir sa réalité quotidienne se restreindre dans des conflits bien en deçà de ses aspirations.

Heidi FORTUNÉ

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