mardi 18 janvier 2011

Les procès pour atteintes graves aux droits de l’homme en Haïti

Par le professeur Gérard Bissainthe

En 1991 le Docteur Roger Lafontant, un des grands barons du régime de Jean-Claude Duvalier, avait été arrêté à Port-au-Prince après une tentative de coup d’Etat. Alors qu’il était en prison sous la protection de la justice de notre pays en vue d’être jugé, il fut assassiné dans des circonstances non encore éclaircies. Cela nous a privés d’un procès pour atteintes graves aux droits de l’homme en Haïti, qui aurait été inévitablement le procès d’un régime, voire d’un système. Absolument rien ne pouvait justifier ni même excuser un tel assassinat.

Aujourd’hui nombreux sont ceux qui réclament l’arrestation de l’ex-Président Jean-Claude Duvalier en vue de pouvoir le juger, car il a certainement des comptes à rendre à la nation. Mais, comme nous devons nous dire en tout réalisme et en toute lucidité qu’un procès fait à Jean-Claude Duvalier sera inévitablement un procès fait à un régime, voire à un système, les chances que ce procès ait lieu en bonne et due forme sont infiniment réduites (2). Il s’agira plutôt d’un hallali (1) contre un homme qui a été autant bourreau que victime: un bourreau que la rumeur publique accuse de beaucoup de crimes graves au moins cautionnés par son administration; mais en même temps une victime de machinations nationales et internationales qui l’ont utilisé pour des objectifs inavouables et inavoués. Les implications et les ingérences de deux nations en particulier, à savoir les Etats-Unis et la France, dans la gestion de la nation haïtienne et dans le régime jean-claudien ont été régulières, souvent profondes et de notoriété publique (3).

Des personnes et des organisations disent leur frustration devant le fait que les grands crimes sont rarement punis en Haïti, à tout le moins d’une punition légale. Il semble qu’on peut lire en filigrane dans notre histoire une sorte de règle définissable ainsi: lorsqu’un grand crime en Haïti a des racines étrangères ou au moins mixtes (haïtiennes et étrangères), son impunité légale est quasiment assurée. Et l’on ne manquera pas de remarquer la morale à géométrie variable (dont les “variables” doivent dépendre de la feuille de route reçue des commanditaires) de bien des organisations dites de défense des droits de l’homme qui demandent, à grands cris et à juste titre, que Jean-Claude Duvalier soit jugé, alors que, par exemple, elles n’avaient jamais exprimé l’ombre d’une critique contre cet embargo sur Haïti imposé par le Président Bush et continué par le Président Clinton, un embargo dont, entre autres, le Cardinal de Santo Domingo, Primat des Amériques, disait urbi et orbi avec indignation qu’il était “le plus barbare, le plus inhumain, le plus cruel de tous les abus de la force brutale.” Les œillères financières sont toujours des plus efficaces.

Je dis haut et clair qu’à mon avis Jean-Claude Duvalier doit un jour être jugé pour les exactions dont la rumeur publique l’accuse. Mais en même temps nous devrons ce jour-là avoir le courage de mettre à côté de lui sur le banc des accusés tous ceux, individus ou organisations ou Etats, sur qui pèsent des accusations de grave complicité avec le régime jean-claudien. Pour paraphraser Corneille, “Quand le bras a fauté, l’on en punit la tête”. Et la tête est souvent aux bords des “fleuves impassibles” du Nord.

La justice, nationale ou internationale, doit être une et exactement la même pour tous.

Gérard Bissainthe
Professeur Emérite de la City University of New York
Président International élu du Forum Francophone International
gerardbissainthe@gmail.com
http://www.blocnotes-gbissainthe.com/
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(1.-) Après le départ de Jean-Claude Duvalier en 1986, il n’y a eu en Haïti qu’un ou deux procès faits à des piliers de la dictature. Il est vrai que les gros poissons ou avaient très vite pris le large ou avaient brusquement vu la lumière du salut au petit matin du jour de la libération et avaient rejoint les libérateurs. Il y eut surtout contre les coupables, réels ou prétendus, du régime que des sortes d’hallalis qui prirent le nom de “déchouquages” ou de “Père-Lebrun” et qui furent la plupart du temps des lynchages par crémation sur la place publique. Loin de les condamner un membre du CNRS de la France du nom de Hurbon Laënnec a même écrit cette phrase restée tristement célèbre, jamais rectifiée et jamais désavouée, à savoir: “Le Père-Lebrun [entendez donc le lynchage par crémation] est une exigence de justice stricte.” Après un tel cautionnement moral d’une pratique inhumaine et barbare par quelqu’un dont on était en droit d’attendre des conseils judicieux de conduite collective dans des circonstances dramatiques de notre histoire, il n’y a pas lieu de s’étonner qu’il existe chez nous des êtres qui pratiquent la violence la plus brutale, dès que cela les arrange. Les Haïtiens, comme tous les peuples, sont capables des pires atrocités, mais ils n’ont pas besoin que des moralistes dépêchés par de prestigieuses institutions étrangères, les y encouragent.

(2.-) On a vu, par exemple, comment le procès fait à l’ex-président du Chili Pinochet a traîné en longueur pendant des années pour finir en réalité en queue de poisson.

(3.-) Si les ingérences américaines dans les affaires haïtiennes sont assimilables à une sorte de protectorat de facto, qui n’a comme justification pseudo-juridique que la Doctrine de Monroe, un simple fait montre, par exemple, l’implication qui fut quasi organique de la France dans le régime jean-claudien: l’écrivain haïtien feu Roger Gaillard a été pendant très longtemps sans états d’âme le rédacteur en chef très zélé du journal gouvernemental jean-claudien “Le Nouveau Monde”. En même temps la France avait fait de lui, sans état d’âme aussi, un membre éminent du Haut Conseil de la Francophonie, cet organisme qui officieusement gère (très mal) les affaires linguistiques et culturelles internationales de l’Etat français. Mais ici inutile de se voiler la face, “les Etats sont des monstres froids”, De Gaulle dixit.

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