dimanche 19 juillet 2009

LE JOUR SE LÈVE ENFIN, il faut tenter de vivre

Par Gérard Bissainthe
Source: Haïti-nation, 19 juillet 2009

Excellente cette intervention ci-dessous de Larose Vernet.

Je suis en mesure d'y ajouter quelques précisions pour avoir été en 1989 (vingt ans de perdu) le concepteur et l'implémenteur du premier organisme dont le but était d'organiser la Diaspora Haïtienne, à savoir le Commissariat Général des Haïtiens d'Outre-Mer.

En fait, Haïti bénéficie de trois sortes d'aides venant de l'étranger

1.- L'aide dite bilatérale
C’est l’aide d'État (ou d'organismes comme l'ONU et l'OEA) à État. C'est l'aide officielle. Par exemple, un État ou de ces organismes octroie une subvention de 20 (vingt) millions de dollars à l'État haïtien. D'âpres les études de l'ONU seulement 15 % (quinze pour cent) de cette aide arrive vraiment a l'État haïtien, le reste va à tout le réseau complexe d'implémentation de l'aide: une très grande part va aux salaires du personnel de cet État ou de cet organismes et ces salaires sont très élevés: par exemple en 1994 un professeur étranger affecté à l'INAGHEI touchait, d’aprés les renseignements que j’avais, 12.000 (douze mille dollars US par mois), à côté de professeurs haïtiens qui, eux, gagnaient parfois l'équivalent de 300 (trois cents) dollars US. On le voit, l'aide bilatérale est d'abord une aubaine en amont (le pays ou l'organisme donateur qui se réserve 85% de ce budget pour ses frais), alors qu'en aval le pays bénéficiaire ne reçoit que la portion congrue de 15%. Dans la Minustah je présume que le même schéma se retrouve, sinon j'invite les officiels de la Minustah à éclairer notre lanterne: autrement dit 85% que s'octroient les pays qui nous veulent du bien et 15% pour Haiti même. J’aimerais aussi que les services de la Minustah communiquent au public haïtien, qui y a droit ce que coutent EFFECTIVEMENT, tous frais compris (sans en cacher aucun), un soldat de la Minustah.

Il est à noter ici que c'est nous qui sommes les naïfs, car l'Étranger joue en général franc jeu. En effet, en 1986 lorsaue je parlais de la coopération française au Chef de la Mission Française en Haïti, Bernard Hadjadj c’est lui qui corrigea mes illusions. Il eut spontanément l’honnêteté de me dire: "Fais attention, Gérard, l'Assistance n'est jamais désintéressée." Et exactement la même phrase m'a été répétée plus tard par l'Ambassadeur de France Jean Dufour, sauf que lui et moi, nous nous vouvoyions. A mon avis il faudrait presque interdire cette aide bilatérale, car elle est plutôt un moyen facile pour un État étranger de se créer dans le pays bénéficiaire une sorte de "Cinquième Colonne" ou un "Cheval de Troie".

2.- L'aide multilatérale
Il y a aussi l'aide multilatérale qui provient des organisations étrangères non-gouvernementales: religieuses, philanthropiques, éducatives, culturelles, et autres. J'ignore quelle proportion de cette assistance reste en amont dans les sommes qu'en général ces organisations collectent dans leur propres pays et qui est souvent déductibles d'impôts et quelle proportion va en aval au pays bénéficiaire. Les seules organisations que j'ai pu examiner de prés sont des organisations catholiques (pas toutes): comme les salaires qu'elles offrent à leur personnel, recrutés "en métropole" comme elles disent, sont raisonnables, la proportion de l'assistance qui va vraiment au pays bénéficiaire doit être de beaucoup plus élevée. Cette aide multilatérale est la seule qui devrait être autorisée, mais il faudrait bien la contrôler. En 1986, lorsque j'étais aux Affaires Étrangères, j'avais pu me rendre compte que certaines organisations non-gouvernementales étaient presque des États dans l'État. En cette même année devant un parterre de journalistes et de fonctionnaires français à Paris j’avais recommandé la cessation de cette aide bilatérale que je disais plus nuisible qu’utile.

3.- L’aide de la Diaspora
La troisième aide est celle directe venant des Haïtiens vivant à l'étranger. De cette aide quasiment tous les 100% arrivent dans le pays. Ce qui veut dire que si un État étranger nous donne 20 (vingt) millions de dollars, en réalité nous en touchons effectivement les 15%, soit donc 3 (trois) millions de dollars. Donc les 100 millions de dollars que la Diaspora envoie chaque mois en Haiti et qui arrivent a 100% dans le pays contiennent 33 fois (et sur une année 396 fois) la valeur qui arrive effectivement en Haiti provenant de ces vingt millions de dollars d'aide étrangère. On voit donc que ces vingt millions de dollars d'aide étrangère ne sont que des "peanuts" comparés à l'aide de la Diaspora. Si l'aide de la Diaspora est systématiquement organisée et elle ne l'est pas, nous n'aurons absolument pas besoin d'aide étrangère, surtout qu'en général cette aide étrangère est condescendante et crée une dépendance économique et surtout politique par rapport au pays donateur. Lorsque Bill Clinton arrive triomphalement en Haiti, c'est parce qu'il sait que c'est lui qui "somehow somewhere" tient les cordons de la bourse. Et si Préval lui sert de chauffeur c'est que “somehow somewhere" Préval est son salarié. “Somehow somewhere" c'est Bill Clinton qui lui paie ses appointements.

On comprend pourquoi depuis au moins 1989 je n'arrête pas de dire que notre solution est dans la Diaspora, dont la puissance économique doit être organisée systématiquement.

Quel est l’obstacle? Qu’est-ce qui empêche la Diaspora d’être un des principaux aqueducs qui apporte régulièrement à Haïti l’eau précieuse, inestimable, irremplaçable de ses ressources financières, professionnelles, culturelles? Voilà la grande question qui attend une réponse appropriée. Bill Clinton avec tout ce qu’il a, avec tout ce qu’il peut, ne fera jamais le poids devant la Diaspora haïtienne, même s’il nous donnait de la main à la main le milliard de dollars que la Diaspora apporte chaque année au pays interieur, ou même les dix milliards qu’une Diaspora organisée pourrait apporter au pays intérieur. A moins qu’il ne devienne lui-même haïtien, en suivant le parcours du combattant qui est necessaire pour devenir haïtien. A ce moment-là il sera le bienvenu.

Quel est l’obstacle? L’obstacle c’est que la Diaspora organisée est la bête noire du “complexe plouto-xénocratique", dont Bill Clinton est partie prenante, qui tient actuellement le pays en main, qui organise nos élections-bidon et qui maintient dans le pays la Minustah, chienne de garde des intérêts de ce "complexe plouto-xénocratique".

Libérer Haiti, prise dans cet étau, ne va pas être facile.

Mais c’est le challenge d’aujourd’hui. Les fossiles ou les Dégénérés attendent encore et toujours le salut du Grand Blanc. Et Soeur Anne ne voit toujours rien venir. Les vrais Haïtiens parlent depuis longtemps de “dialogue d’égal à égal” avec nos partenaires etrangers, parce qu’ils savent que le salut est là et nulle part ailleurs, à savoir dans la fin de la tutelle. Ils sont trop heureux d’entendre enfin le nouveau Prèsident américain, rompant avec les erreurs du passé, tenir le même langage.

Le jour se lève enfin. Il faut tenter de vivre!

Gérard Bissainthe
19 juillet 2009

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At 23:16 17/07/2009 +0000, Larose Vernet wrote:

La qualité de l'État haïtien aurait dû depuis fort longtemps déjà faire l'objet d'études d'une masse critique de chercheurs, tant sous les angles de sa manifestation nationale que de l'expression de sa puissance interétatique. Ils ont, en effet, à expliquer à leurs pairs et au grand public, pourquoi les insurrections ont quasiment toujours effacé les mots des constitutions, même si ces mots n'ont jamais fait sens ni les constitutions d'effectivité-celle-ci est distincte de l'applicabilité-?

Quant à son indépendance, des "dettes de l'indépendance" en passant par la "diplomatie des canonnières" et ensuite prendre une pause chez la génération du choc de l'occupation et cheminer tranquillement en ayant pour guide le nouveau missionnaire, qui vous apprend à pêcher du poisson d'avril : les experts en aide publique au développement(APD) et finalement de se réveiller brutalement par le bruit des engins du Conseil de sécurité.

Occulter cette réalité constitue un obstacle à l'action volontaire en vue d'offrir une alternative culturelle, au sens de Gramsci.

Or, la diaspora aurait pu le faire, si elle s'y était organisée en œuvres de charité d'État, qui elles, sont consubstantielles à l'action civique, au principe et à l'esprit de solidarité. De l'action des Quakers en vue d'abolir l'esclavagisme aux États-Unis à celle d'Oxfam, Amnistie internationale, etc., nous ne trouvons pas de correspondance avec les bailleurs de fonds au "noir", "clandestins" : les transferts d'argent de la diaspora haïtienne à leurs parents cellulaires ou élargis.

Il existe deux types de flux. Celui du pays d'origine vers le pays électif, vous partez pour aller travailler et non donner de l'aide; c'est le marché qui régule votre départ; et vous envoyez ensuite de l'argent à vos proches : c'est une décision personnelle, une affaire privée, qui s'inscrit également dans le cadre du marché.

L'autre flux, c'est celui de la charité d'État interétatique. Les médecins sans frontières, du monde et autres dénominations, bref les ONG, jouissent des privilèges, ils ne sont pas soumis aux lois d'immigration ni autres ordres professionnels comme les migrants ordinaires.

Cependant des études récentes nous informent : plus d'un milliard de dollars ont été reçus par plus d'un million de personnes; c'est une "aide" directe, palpable de la diaspora, sans inclure les retombées, les externalités, les effets multiplicateurs sur la socio-économique haïtienne.

Alors, pourquoi les 350 millions de l'APD et l'intervention de Bill Clinton pour les acheminer sur 2 ans, si je ne m'abuse, et d'en récolter davantage, relèvent de la noblesse d'État?

Je n'y vais pas plus loin : la diaspora a un défi à relever; c'est en filigrane dans la correspondance entre Bissainthe et Lucas. Mais si on abordait les vraies questions? Et, si on s'y mettait pour les transformer en œuvres de charité d'État?

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